Tao Ravao : « J’ai été impressionné par leur absence de haine » à propos de Rano, rano, rano

Interview publiée le 26.01.2016 sur le site de la revue Project’Îles
« Tao Ravao, c’est d’abord la touffeur d’une chevelure en bataille. Poivre et sel. Au milieu du visage un sourire radieux qu’il offre au passant. Avec une barbichette surélevée d’une moustache bien peignée qui fait penser aux vieux sages de la mythologie chinoise. Une chemise à poix, ouvert jusqu’à la poitrine. Des mains délicates, avec des doigts qui produisent de la magie. Autour de lui une kabossy, une valiha ainsi qu’une guitare électrique, témoignent de la palette d’un poly-instrumentiste. Fondu au milieu des photographies mettant en scène les rescapés du massacre de 47, Tao donne la réplique à la voix de Raharimanana, et le spectacle s’appelle Rano,Rano, Rano, l’une de meilleures programmations de la 31ème édition du festival des Francophonies en Limousin. »
Entretien avec le bluesman Tao Ravao, complice du dramaturge malgache, Raharimanana.

PROJECT-ILES : Vous confiez dans de nombreux interview que vous avez pris le nom de votre mère malgache, et en recevant votre mail ce matin, je lis Roger Patier, Tao c’est le nom d’artiste pourquoi ce choix ?

Tao Ravao : Je suis né en 1956 à Antananarivo de père français et de mère malgache:  j ai choisi Tao, car je suis très imprégné par la philosophie taoïste, Lao Tseu, Lie Tseu, Tchouang Tseu. Ravao est le nom de ma mère dont je chante la mémoire dans mon dernier album VAZO : je le porte par amour pour ma mère et pour mon île natale.

PROJECT-ILES : Vous êtes né en 1956, 47 ce n’est pas très loin quand vous naissez à Madagascar, et sans remuer des choses douloureuses, avez-vous eu des parents inquiétés, touchés par ce massacre ?

Tao Ravao : Bien sur que oui, car la zone dans laquelle a eu lieu les combats sont très proches de chez ma mère, je n’en sais pas beaucoup plus…

PROJECT-ILES : Quand est-ce que vous avez entendu parler pour la première fois de 47 ? Est-ce qu’on en parlait autour de vous ? Vous avez vécu à Madagascar jusqu’à l’âge de 12 ans, avant de quitter le pays en suivant vos parents j’imagine. Est-ce qu’ils vous parlaient de l’Histoire tumultueuse, tragique entre Madagascar et La France ?

Tao Ravao : J’ai entendu parler de 1947 dans toute son ampleur il y a 18 ans en lisant le livre de JACQUES TRONCHON sur MARS 1947, puis je suis allé vers d’autres livres et j’ai commencé à travailler sur le projet avec Jean-Luc [Raharimanana] il y a 5 ans ; on en parlait pas, de toutes les manières j’ai quitté l’île à l’âge de 12 ans, j’étais je pense trop jeune pour que l’on me raconte ce qui s’était passé.

PROJECT-ILES : Qu’est-ce qui vous a décidé à accompagner Raharimanana à Madagascar pour rencontrer les survivants ?

Tao Ravao : Je suis allé à Mada avec Jean-Luc car le projet me tenait à cœur, j’avais déjà enregistré une chanson en hommage aux insurgés sur mon album SOA  paru en 2004 chez Marabi.

PROJECT-ILES : Comment se sont déroulées ces rencontres ? Qu’est-ce que ça vous a appris sur vous, sur votre histoire personnelle en tant qu’enfant de ses deux pays ? Un déchirement, une envie de s’engager, de dire, de créer ?

Tao Ravao : J’ai appris en écoutant ces témoins toute l’horreur de cette période, et j’ai été impressionné par leur humanité : absence  de haine…

PROJECT-ILES : Qu’est-ce que vous avez souhaité raconter dans votre écriture musicale du spectacle Rano Rano ? A vous écouter on entend bien sur la douleur, la nostalgie, la violence, l’apaisement, la douceur…

Tao Ravao : J’ai essayé dans les compositions musicales de respecter leur parcours, leurs choix, leurs déterminations, leurs luttes et de l’exprimer, de le traduire en musique comme ferait un musicien de flamenco traversé par le DUENDE, ou comme un musicien de BLUES dont je suis très proche, un cri, un son, du feeling, pour abattre les murs du silence et sublimer leur propre histoire qui est aussi la mienne…

PROJECT-ILES :  On retient à un moment donné vers la fin du spectacle une phrase qui dit « que ce n’était pas tous les Français qui torturaient », qu’est-ce que vous pensez de cette phrase ?

Tao Ravao : J’entends par cette phrase toute l’humanité que portent en eux ces combattants…

PROJECT-ILES : Pourquoi ce choix du Blues comme mode d’expression ?

Tao Ravao : Le blues,  car je viens moi-même du blues. Le blues c’est la musique de la révolte, du cœur, de l’intégrité sans aucune compromission avec les lois du marché ! Sa force émotionnelle et son rythme hypnotique, entêtant, m’ont paru comme une catharsis, une TRANSE capable de porter leur histoire.

PROJECT-ILES : Quels sont les artistes qui vous ont influencés ?

Tao Ravao : Mes maîtres, mes influences viennent du blues, de B.B. King, Albert King, Homesick JAMES, Robert JONSHON, Jimi HENDRIX, et pour la partie malgache  RAKOTOZAFY, le maître incontesté de la valiha. Mais j’écoute aussi bien du flamenco que du jazz, et les musiques africaines : Farka TOURE, Toumani DIABATE, Boubacar TRAORE.

PROJECT-ILES : Vazo, c’est la complainte, vous cherchez d’une certaine manière à raviver la mémoire douloureuse pour chercher à apaiser, à vous apaiser vous-même ?

Tao Ravao : VAZO est un hommage à la mémoire de ces héros qui ont su se lever contre un système oppressif. C’est une complainte et non une plainte…

PROJECT-ILES : Vous rentrez d’une tournée dans l’océan indien, notamment à Madagascar, comment vos compatriotes regardent cette œuvre, ce spectacle Rano, Rano ?

Tao Ravao : La tournée s’est très bien passée : beaucoup d’émotion, de fierté, de part et d’autre partagées !!!

PROJECT-ILES : La musique et le théâtre ont-ils remplacés les livres d’Histoire à Madagascar ?

Tao Ravao : Non, la musique et le théâtre ne doivent en aucun cas remplacer les livres d’histoire mais présenter un autre angle d’approche. L’histoire des peuples ne doit jamais être faite par des personnes qui peuvent la tronquer… d’ou la nécessité  pour nous natifs de la prendre en charge sous toutes ces formes.

Propos recueillis par Nassuf DJAILANI –

Tao Ravao : « J’ai été impressionné par leur absence de haine » à propos de Rano, rano, rano

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